lundi 25 septembre 2017

4 - l'amie retrouvée

[poser ça juste là, sans savoir si ça restera]
 
Elles savent que l’année sera dure, que les mois seront longs, elles croient encore qu’elles se soutiendront, sans faille, coudes serrés, moments partagés pour tendre ensemble vers la ligne d’arrivée – pas la même mais presque – se promettent à demi-mots de compter l’une sur l’autre, de s’accompagner, de s’encourager, de ne pas s’éloigner ni se lâcher. Et puis deux universités et deux campus, même si à l’intérieur d’une seule ville, deux concours et des épreuves un peu trop divergentes, des vies personnelles quasi inexistantes qui ne s’accordent plus vraiment non plus, peut-être quelques points de friction ou d’incompréhension, et la fatigue, surtout la fatigue. Peu à peu, elles se regardent de plus en plus souvent le nombril, ou se tournent plus facilement qu’au début vers leurs camarades de promo, vers celles et ceux qui partagent leur quotidien, leurs cours, leurs petits tracas et grosses angoisses, ceux qui fréquentent les mêmes lieux, les mêmes profs, qui prennent part aux mêmes périodes de rendus et qu’elles retrouvent pour les mêmes dates de partiels. Elles rient avec eux – qui sont surtout des elles – autant qu’elles pleurent, râlent, mangent, travaillent, révisent et collaborent. Et tout ça, les rires, les pleurs, les bougonneries, les repas, les rendez-vous à la b.u. de la Manu pour bosser et les révisions, c’est ce qu’elles ne font pas ou plus ensemble, comme si pour faire de la place à de nouvelles complicités, il était nécessaire de prendre un peu le large des anciennes amitiés. Il y a bien quelques goûters au milieu de ces longues semaines, un verre de mojito – mais jamais plus d’un verre, puisque « je bosse demain » – et même une ou deux soirées au resto, à la veille des vacances. Les retrouvailles sont extrêmement rares, les textos s’espacent tout autant et un jour, en quelques mots, elle lui dit qu’elle a réussi et qu’elle continue à croiser les doigts pour elle. Elles ne prennent pas le temps de fêter ça, de toute façon elles ne l’ont pas. Un autre jour, la première est très déçue pour la seconde quand elle apprend qu’elle n’a pas l’agreg, mais saute de joie en découvrant qu’elle a le Capes. Encore une fois, elles ne fêtent pas ça, se voient en vitesse, peut-être que c’est plutôt pour se dire au revoir et pour tourner une page difficile que pour prendre un nouveau départ, ou pour se retrouver. Et si on lui demandait, a priori elle admettrait sans difficulté la déception, voire la douleur, oui, elle le reconnaitrait ce cœur tordu par cette amitié qui se dégonfle, mais ces deux sentiments s’estompent et il n’y a probablement plus que du regret à la fin de l’été. Pourtant, quand elles se retrouvent, tout semble plus léger, elles prennent un supplément d’été et une glace au soleil, les pieds presque dans l’eau, les cœurs apaisés de ce nouvel état de fait, certaines choses sont dites et c’est bon de s’en libérer, de faire une trêve. Elles aimeraient sûrement échanger, collège-lycée, alors elles se rassurent et se retrouvent des points communs, des neufs et des plus anciens, elles se comprennent enfin de nouveau, et ça aussi, c’est bon.
J’ai perdu M., puis j’ai retrouvé M. et, finalement, peut-être que c’était nécessaire, que ça valait la peine, cette déception, cette douleur, peut-être que c’était inéluctable d’en passer par là pour entendre son « Appelle-moi quand ça ne va pas ». Peut-être que je ne le ferai pas, que je ne l'appellerai pas, peut-être que j’ai désormais décidé d’accorder ma confiance à d’autres, plus proches, plus présentes, mais j’ai aimé l’entendre prononcer ces mots. Alors merci, M.

mercredi 5 juillet 2017

3 - les grandes vacances, première partie : l'Ardèche


En Ardèche, j’ouvre ma valise cinq minutes à peine après être descendue du car, j’en sors mon ciré jaune et je l’enfile pour me protéger de ces grosses gouttes qui tombent depuis que l’on a quitté Montélimar, je vérifie les prévisions météo une énième fois, et je me dis que j’ai vraiment mal choisi les dates de mon séjour, qui sera probablement un peu trop marqué par les pluies et les orages. Place de la Paix, je me demande s’ils m’ont oubliée, et puis je me dis qu’ils sont toujours très occupés, alors j’attends. Je ne reconnais pas la voiture, mais je reconnais le sourire derrière la vitre, la main qui me fait signe et la voix qui lance « Salut, la Bretonne ! » quand il m’embrasse, avant d’ouvrir le coffre et d’y glisser ma valise. Contrairement à mon habitude, je ne cours pas enfiler mon maillot de bain à peine installée, et contrairement à mon habitude, je ne dormirai pas dans la grande chambre du fond. Quand la pluie cesse, on part marcher un peu, histoire de se dégourdir les jambes et de sortir le chien, qui n’a, il est vrai, « que » cinq mille mètres carrés à sa disposition. On s’arrête au bout de 100 mètres pour goûter les pêches du voisin, qui râle contre la grêle tombée il y a trois jours, et les glaçons qui serviront pour le Pastis mais ont détruit ses tomates. Je ramasse les bouteilles balancées dans le fossé, parce que ce coin est si beau et ces marques d’incivilité m’agacent. On rentre avant l’orage, je me plonge dans mon livre, et quand je lève les yeux, il y a cette lumière si spéciale qui suit le ciel noir, et deux arcs-en-ciel juste en face de la terrasse. Ils se souviennent que je ne mange ni viande, ni poisson, et je pense à Papy quand son fils, qui lui ressemble tant, me dit qu’il est « tombé dedans quand il était petit ».

En Ardèche, on part voir une maison qui a de jolis volets, on en profite pour aller visiter un hameau magnifique mais déserté, puis pour se rendre chez un producteur d’huile d’olive, qui nous fait goûter ses huiles à la petite cuillère, nous explique qu’une bonne huile doit toujours un peu gratter la gorge, et que ça s’appelle l’ardence. Il nous emmène sur la terrasse, la vue est magnifique, et quand on s’exclame devant le spectacle, il répond « Oh, vous savez, je suis né ici. », il râle contre les bourrus, contre l’Union Européenne, contre les touristes et encore contre les bourrus, contre les inspecteurs de l’hygiène et les contrôleurs de label bio, il râle beaucoup mais avec le sourire, et on repart avec de l’huile d’olive et du pesto, de l’huile essentielle de lavande pour la voiture, et du savon pour moi, parce que j’adore les pains de savon qui sentent bon.

En Ardèche, je trouve un petit mot sur la table de la cuisine, des croissants frais et un bol de groseille du jardin, je mets la cafetière en route et, dans le silence, je me régale de ces délices si simples. Les températures ont fini par grimper, je fais des ronds dans l’eau pour fêter la mention Bien de mon M1, en attendant leur retour pour leur annoncer la bonne nouvelle, pour laquelle ils s’empressent de me féliciter. Après le déjeuner, je trouve un casque de moto, un blouson et des gants en bas des escaliers, et je m’apprête pour mon baptême. Bien sûr, je suis morte de trouille. Je ne crains ni la hauteur, ni le vide, ni les eaux profondes, trois choses auxquelles je suis régulièrement confrontée quand je viens ici, mais la route et la vitesse, oh la la, j’ai vraiment peur, sauf que je m’abstiens de le mentionner, il est hors de question d’avouer ça. Alors oui, les premiers kilomètres sont difficiles, parce que je ne sais pas comment m’installer, parce que je suis raide d’angoisse et que j’ai déjà mal aux bras à force de serrer fort fort fort les poings, et quand il crie « Ca va, t’as pas peur ?! », je m’efforce d’être convaincante, mais je ne sais même pas s’il entend mon mensonge, « Nan, nan, t’inquiète ! » Pourtant, très vite, je me laisse emporter, apaiser, je profite simplement du paysage, je m’habitue aux sensations et aux virages, je trouve ma place, je laisse la confiance reprendre ses droits. Je n’en perds pas une miette, les paysages sont splendides, je n’avais jamais vu cette région comme ça, je n’avais connu ça, et à un moment, je me rends compte que j’adore et que je ne regrette pas une seule seconde d’avoir enfourché cet engin. Plus on monte, plus les températures dégringolent, mais je me moque du froid, je me moque de la pluie, je me moque du vent sur mes chevilles et de mes Converse qui ne sont absolument pas appropriées à une balade pareille. Je claque des dents et je me dis que s’il m’emmène manger une glace, je commanderai quelque chose de chaud. Quand on arrive là-haut, je mange le meilleur moelleux aux châtaignes de toute ma vie, et je lui parle de nos précédents passages ici, mais si, souviens-toi, après le canyoning, avec Lea, et après le Pont du Diable. On repart, je découvre d’autres coins, d’autres trous perdus où il ferait bon passer quelques jours, quelques semaines. Quand je rentre, je suis engourdie, j’ai mal un peu partout et surtout à la nuque, mais ça n’a aucune importance, ces quelques heures m’ont tellement étonnée que mes muscles endoloris se font vite oublier.

En Ardèche, on va aux Vans le samedi matin, il fait chaud, il y a du monde, et on pense à notre producteur d’huile d’olive en voyant tous ceux qu’il appelle les bourrus. On goûte du vin et du melon, on me propose du saucisson et je dis non, merci, alors que c’était l’une de mes faiblesses il y a encore quelques mois, pas si lointains. On poursuit jusqu’au village des Naves, et en pointant un endroit par là-bas, il me raconte les excursions qu’il faisait avec ses collègues et élèves, avant. 



En Ardèche, je me laisse embarquer, je pars marcher, et si nos 13 km peuvent paraître peu à certains, c’est un exploit pour moi qui déteste – ou détestais – ça, je garde le sourire toute la matinée, je ris quand on se perd et qu’on fait un détour, et je suis récompensée à l’arrivée par de merveilleux hortensias. On part en voiture sur les traces de l’Ardéchoise, je découvre Ardelaine et sa librairie qui me fait envie, je passe l’après-midi à me répéter que ce coin de France est quand même plutôt sublime et le soir, au téléphone, alors que j’ai les pieds dans l’eau, Maman me demande si je ne songe pas à demander un poste en Ardèche. 



En Ardèche, je passe une journée entière à lire sur la terrasse et à plonger dans la piscine quand il fait trop chaud, à me tartiner de crème solaire et à savourer le calme, les yeux sur le jardin, la maison, et tous les souvenirs qui vont avec. Si je peux dire que la piscine était plus grande quand j’étais plus petite, ce n’est pas le cas de cette maison, qui ne cesse de s’agrandir sans jamais perdre de sa beauté. J'apprends la joie et la déception des amies qui passent l'agreg de lettres, et je souris en pensant au soulagement après les résultats de leur Capes. En allant me coucher, je dis au revoir et surtout merci pour ce séjour à celui qui ressemble de plus en plus à Papy, et il me répond « Mais tu rigoles, tu viens ici quand tu veux ! Merci pour ta visite », et je réponds « Mais tu rigoles ! », et on sourit. 


En Ardèche, je me laisse de nouveau embarquer, cette fois pour un cours de sport, avec la promesse d’aller cueillir des figues sur le chemin du retour, et je découvre ce plaisir de choisir les fruits mûrs à point pour les déposer dans le panier et – parfois – à pleines dents les croquer. Je profite de la piscine jusqu’à la dernière minute, quitte à boucler ma valise à la va-vite, et sur la route qui me ramène à Lyon, je songe déjà à la prochaine fois.


En Ardèche, je n’ai pas tout dit, mais l’essentiel est là : c’était beau, c’était bien, c’était bon. Merci, M. & F., je reviendrai, comme toujours.